samedi 30 janvier 2010

- LES DROITS DU LECTEUR

Comme un roman de Daniel Pennac

Extrait:

"Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres : le verbe « aimer »… le verbe « rêver »…

On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : « Aime-moi ! » « Rêve ! » « Lis ! » « Lis ! Mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire ! » -Monte dans ta chambre et lis ! Résultat?

Néant.

Il s'est endormi sur son livre. La fenêtre, tout à coup, lui a paru immensément ouverte sur quelque chose d'enviable. C'est par là qu'il s'est envolé. Pour échapper au livre. Mais c'est un sommeil vigilent : le livre reste ouvert devant lui. Pour peu que nous ouvrions la porte de sa chambre nous le trouverons assis à son bureau, sagement occupé à lire. Même si nous sommes monté à pas de loup, de la surface de son sommeil il nous aura entendu venir.

- Alors, ça te plaît?


Il ne nous répondra pas non, ce serait un crime de lèse-majesté. Le livre est sacré, comment peut-on ne pas aimer lire ? Non, il nous dira que les descriptions sont trop longues.

Rassuré, nous rejoindrons notre poste de télévision. Il se peut même que cette réflexion suscite un passionnant débat entre nous et les autres nôtres… - Il trouve les descriptions trop longues. Il faut les comprendre, nous sommes au siècle de l'audiovisuel, évidemment, les romanciers du XIXe avaient tout à décrire… "
- Ce n'est pas une raison pour le laisser sauté la moitié des pages !
Ne nous fatiguons pas, il s'est rendormi.

D'autant plus inconcevable, cette aversion pour la lecture, si nous sommes d'une génération, d'un temps d'un milieu, d'une famille où la tendance était plutôt à nous empêcher de lire.
- Mais arrête de lire, voyons, tu vas te crever les yeux !
- Sors plutôt jouer, il fait un temps superbe.
- Éteins ! Il est tard !

Oui, il faisait toujours beau pour lire, alors, et trop sombre la nuit.

Notez que lire ou ne pas lire, le verbe était déjà conjuguer à l'impératif. Même au passé, on ne se refait. En sorte que lire était alors un acte subversif. À la découverte du roman s'ajoutait l'excitation de la désobéissance familiale. Double splendeur ! O le souvenir de ces heures de lectures chipées sous les couvertures à la lueur de la torche électrique ! Comme Anna Karénine galopait vite-vite vers son Vronski à ces heures de la nuit ! Ils s'aimaient ces deux-là, c'était déjà beau, mais ils s'aimaient contre l'interdiction de lire, c'était encore meilleur ! Ils s'aimaient contre père et mère, il s'aimaient contre le devoir de math à finir, contre la « préparation française » à rendre, contre la chambre à ranger, ils s'aimaient au lieu de passer à table, ils s'aimaient avant le dessert, ils se préféraient à la partie de foot et à la cueillette des champignons… "

«Ne rien demander en échange... Ne pas donner le plus petit devoir... S'interdire de parler autour»
Au commencement était le dogme: il faut lire. «Il faut lire», dit le père à son fils, le professeur à son élève et l'enfant à lui-même. Las de cette consensuelle injonction, Daniel Pennac lance cet antidogme scandaleux: Ne pas lire est un droit. Lequel, rassurons-nous, contient son corollaire et le fonde: lire est un droit.

«Et si, au lieu d'exiger la lecture, le professeur décidait soudain de partager son propre bonheur de lire?» Lire à voix haute, libérer «le plaisir séquestré dans ces greniers adolescents par une peur secrète: la peur (très ancienne) de ne pas comprendre». Se souvenir, enfin, qu'un roman raconte d'abord une histoire.

Et si l'on renonçait à la glose, au commentaire? «Une seule condition à cette réconciliation avec la lecture: ne rien demander en échange... Ne pas donner le plus petit devoir... S'interdire absolument de «parler autour».

Lecture-cadeau. Lire et attendre.

Et si, en prime, on racontait l'histoire? Si on la faisait flairer, pour mettre en appétit? Comme le faisait Georges Perros: «Il nous racontait Don Quichotte! Madame Bovary! D'énormes morceaux d'intelligence critique, mais qu'il nous servait d'abord comme de simples histoires.»

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